Anesthésie sans opioïde (OFA) avec dexmédetomidine versus anesthésie avec rémifentanil dans la Chirurgie Non Cardiaque majeure ou Intermédiaire
Balanced Opioid-free Anesthesia with Dexmedetomidine versus Balanced Anesthesia with Remifentanil for Major or Intermediate Noncardiac Surgery.
Beloeil H, Garot M, Lebuffe G, Gerbaud A, Bila J, Cuvillon P, Dubout E, Oger S, Nadaud J, Becret A, Coullier N, Lecoeur S, Fayon J, Godet T, Mazerolles M, Atallah F, Sigaut S, Choinier PM, Asehnoune K, Roquilly A, Chanques G, Esvan M, Futier E et al.
Anesthesiology, 1 avril 2021, volume 134, pages 541-551
Commentaire
Par Par Dr Ogarite HABIB (DFMS) et le Pr Dan BENHAMOU
Introduction
Cet article évoque l’idée, toujours controversée, que « l’anesthésie sans opioïde » (opioid-free anesthesia [OFA]) peut procurer les mêmes conditions qu’une anesthésie avec morphinique, permettre de maintenir la stabilité hémodynamique et une analgésie satisfaisante, tout en diminuant les effets indésirables liés aux opioïdes.
Matériels et méthodes
Il s’agit d’une étude prospective multicentrique (10 centres en France), randomisée, contrôlée en simple aveugle. Ont été inclus les patients adultes devant bénéficier d’une Intervention chirurgicale majeure ou intermédiaire programmée. Parmi les critères d'exclusion on notera : la chirurgie intracrânienne, la chirurgie ambulatoire, les troubles du rythme ou de la conduction, un traitement beta-bloquant, une insuffisance cardiaque.
Parmi les 314 patients (157 patients par groupe) inclus, 2 groupes ont été formés : 1) rémifentanil IV en mode AIVOC (3 à 5 ng/ml) en peropératoire + bolus de morphine IV en fin de chirurgie ; 2) dexmédétomidine IV (0,4 à 1,4 μg /kg/h). En raison de l'augmentation de l'incidence de la bradycardie, les doses de dexmédétomidine ont été réduites à partir du 28/12/2018. Le 18/01/2019 il a été décidé d'arrêter l'essai.
Le protocole d’anesthésie incluait dans les deux groupes une induction au propofol, un entretien par desflurane, utilisation de lidocaïne IV bolus (1,5 mg/kg puis 1,5 mg/kg/h), kétamine IV (bolus 0,5 mg/kg puis 0,25 mg/kg/h), une curarisation, la dexaméthasone et une analgésie multimodale postopératoire standardisée.
La profondeur de l'anesthésie était appréciée par le BIS et l’indice de nociception d'analgésie dans le groupe de rémifentanil, alors qu’elle était adaptée selon la fréquence cardiaque dans le groupe de dexmedetomidine.
Résultats
Les caractéristiques démographiques et cliniques des deux les groupes étaient similaires. Les données peropératoires étaient similaires à l'exception des doses plus élevées de propofol dans le groupe dexmédétomidine.
Le critère de jugement principal était la survenue d'événements indésirables postopératoires liés aux opioïdes dans les 48 heures suivant l'extubation (67% versus 78% des cas rémifentanil versus dexmédétomidine, p = 0.031). Parmi les évènements indésirables, l’hypoxémie postopératoire était plus importante dans le groupe avec dexmédétomidine (72%) par rapport au rémifentanil (72%) (p = 0.03), tandis qu’il n’y avait pas de différence entre les 2 groupes concernant l’iléus postopératoire et la dysfonction cognitive.
Les patients du groupe sans opioïde (avec dexmédétomidine) présentaient plus d’extubation retardée, une durée de séjour prolongée en SSPI et plus souvent une bradycardie, mais moins de nausée et vomissements postopératoires et une consommation de morphine moindre pendant les 48 heures suivant l’extubation.
La raison de l'arrêt de l'essai était une bradycardie sévère chez cinq patients associée à l'asystolie pour trois d'entre eux : 3 de ces 5 bradycardies sont survenues pendant l’insufflation au cours d’une cœlioscopie.
Discussion
Le caractère randomisé de cette étude est important car jusqu’ici la majorité des travaux publiés ne répondaient pas à des critères de qualité scientifique suffisants. La dose moyenne de dexmédétomidine utilisée dans cette étude (1,2 ± 2 μg/kg/h) est élevée par rapport à d’autres études sur l’OFA. Ceci est considéré comme la raison principale ayant abouti à une sédation excessive et aux bradycardies sévères.
3 parmi les 5 cas de bradycardie profonde sont survenus lors de l'insufflation gazeuse, alors il se peut que l’ajout de dexmédétomidine dans cette situation spécifique soit à risque. Le dosage efficace de dexmédétomidine pendant l'anesthésie générale permettant une stabilité hémodynamique tout en ayant le moins d'effets secondaires possibles n’est pas encore déterminé. Les résultats contradictoires dans les études antérieures sont dûs aux différences entre les études concernant les doses administrées, la présence de morphiniques, la définition de l’hypoxémie.
Par ailleurs, les doses nécessaires de propofol dans le groupe dexmédétomidine étaient plus élevées, et l’association de ces 2 molécules peut augmenter le risque d'hypotension et de bradycardie. La posologie de la dexmédétomidine était adaptée en fonction de la fréquence cardiaque alors que celle de rémifentanil était décidée en fonction du BIS et de l’index de nociception, alors que la fréquence cardiaque n’est pas spécifique du degré de l’analgésie. En outre, l’interruption prématurée de l'étude pour des raisons de sécurité est en elle-même une limite.
Enfin, il existe d’autres combinaisons pour l’OFA (différents dosages, médicaments etc.) et la généralisation à partir de cette étude n’est pas encore possible.
Abstract
BACKGROUND: It is speculated that opioid-free anesthesia may provide adequate pain control while reducing postoperative opioid consumption. However, there is currently no evidence to support the speculation. The authors hypothesized that opioid-free balanced anesthetic with dexmedetomidine reduces postoperative opioid-related adverse events compared with balanced anesthetic with remifentanil.
METHODS: Patients were randomized to receive a standard balanced anesthetic with either intraoperative remifentanil plus morphine (remifentanil group) or dexmedetomidine (opioid-free group). All patients received intraoperative propofol, desflurane, dexamethasone, lidocaine infusion, ketamine infusion, neuromuscular blockade, and postoperative lidocaine infusion, paracetamol, nefopam, and patient-controlled morphine. The primary outcome was a composite of postoperative opioid-related adverse events (hypoxemia, ileus, or cognitive dysfunction) within the first 48 h after extubation. The main secondary outcomes were episodes of postoperative pain, opioid consumption, and postoperative nausea and vomiting.
RESULTS: The study was stopped prematurely because of five cases of severe bradycardia in the dexmedetomidine group. The primary composite outcome occurred in 122 of 156 (78%) dexmedetomidine group patients compared with 105 of 156 (67%) in the remifentanil group (relative risk, 1.16; 95% CI, 1.01 to 1.33; P = 0.031). Hypoxemia occurred 110 of 152 (72%) of dexmedetomidine group and 94 of 155 (61%) of remifentanil group patients (relative risk, 1.19; 95% CI, 1.02 to 1.40; P = 0.030). There were no differences in ileus or cognitive dysfunction. Cumulative 0 to 48 h postoperative morphine consumption (11 mg [5 to 21] versus 6 mg [0 to 17]) and postoperative nausea and vomiting (58 of 157 [37%] versus 37 of 157 [24%]; relative risk, 0.64; 95% CI, 0.45 to 0.90) were both less in the dexmedetomidine group, whereas measures of analgesia were similar in both groups. Dexmedetomidine patients had more delayed extubation and prolonged postanesthesia care unit stay.
CONCLUSIONS: This trial refuted the hypothesis that balanced opioid-free anesthesia with dexmedetomidine, compared with remifentanil, would result in fewer postoperative opioid-related adverse events. Conversely, it did result in a greater incidence of serious adverse events, especially hypoxemia and bradycardia.